D’autres politiques économiques sont possibles

Adhérer

Lundi 7 juin, les personnes qui passaient l’épreuve de spécialité en SES en candidates libres devaient composer sur le sujet suivant :
« À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez que des politiques de flexibilisation du marché du travail permettent de lutter contre le chômage structurel. »
Le dossier documentaire qui accompagnait le sujet était constitué :
• D’un graphique montrant une corrélation douteuse entre l’indice de rigidité du marché du travail (tel qu’il est calculé par l’OCDE) et le taux de chômage ;
• D’un texte issu d’un périodique grand public du FMI affirmant qu’il existe un « consensus » sur le fait que lorsque le salaire minimum « est établi à un niveau trop élevé, il peut être à l’origine de nombreuses pertes d’emploi » ;
• D’un sondage Opinionway commandé par le Medef en 2015 auprès des employeurs, soulignant que la première inquiétude ressentie par ces derniers lorsqu’ils embauchent concerne le coût du travail.
Les Économistes atterrés s’étonnent qu’un sujet aussi politiquement et scientifiquement contestable ait pu être proposé à des candidats bacheliers. En effet, la notion même de « chômage structurel » est loin de faire consensus chez les économistes. La théorie du chômage structurel suggère que les politiques de relance keynésienne seraient inefficaces pour lutter contre ce type de chômage et que des réformes du marché du travail affaiblissant les droits sociaux seraient donc nécessaires pour faire augmenter l’emploi. La validité de cette thèse, qui rejoint en tous points les revendications du patronat, n’a cependant jamais été démontrée scientifiquement. Et pour cause ! Personne n’est capable de mesurer objectivement dans une économie comme la France la part du chômage qui serait « structurelle », qui ne dépendrait pas du chômage effectivement enregistré dans le passé, et qui serait insensible aux politiques de relance.
Or, dans ce sujet, on demande à des bacheliers non seulement d’avaliser sans recul le concept de chômage structurel, mais surtout de « montrer » la nécessité d’une « flexibilisation du marché du travail », que les documents présentés résument à un problème de salaire minimum ou de coût du travail. Sans même évoquer la réduction du temps de travail qui a pourtant fait la preuve de son efficacité à réduire le chômage (même si cette solution ne fait plus partie des programmes de SES), les documents présentés auraient pu aborder les politiques de formation qui sont pourtant au programme de SES et qui contribuent à améliorer l’employabilité tant des personnes éloignées de l’emploi que des salariés en place. Ils auraient pu montrer l’importance de la stabilité de l’emploi, qui permet à l’entreprise d’investir dans ses salariés et aux salariés de s’impliquer dans leurs tâches
Tel qu’il a été conçu, ce sujet de SES nie les débats économiques en matière de lutte contre le chômage et suggère que la théorie du chômage structurel ferait consensus. Il n’invite en aucun cas le candidat à développer une approche problématisée, ni à adopter une démarche rigoureuse pourtant revendiquée par le ministère. Le document officiel des programmes stipule pourtant que « les sciences économiques et sociales articulent modélisation et investigations empiriques pour rendre compte de façon rigoureuse de la réalité sociale et mettre en question les prénotions. »
Un sondage commandé par le Medef peut-il être considéré comme une « investigation empirique rigoureuse » ? Demander aux candidats de démontrer, sans l’interroger, une théorie contestée par la profession est-il adapté à la « mise en question des prénotions » ? Indépendamment des questions que soulève la nature de cette épreuve et que résume très bien le communiqué de l’Association des professeurs de SES, les Économistes atterrés dénoncent un choix de sujet qui relève d’une instrumentalisation des SES et du baccalauréat et présente une thèse hautement discutable – qui par ailleurs légitime la vision actuelle du gouvernement en matière de politique économique – comme une vérité scientifique non contestable.

Paris, le 13 juin 2021.
Contact : contact@atterres.org