D’autres politiques économiques sont possibles

Adhérer

Dany Lang avec d’autres économistes ou experts a répondu à des questions de Théodore Laurent dans Forbes pour essayer de tracer les grandes tendances économiques qui pourraient marquer l’économie française.

ECONOMIE | Les Français devraient bénéficier d’un meilleur pouvoir d’achat grâce au rattrapage des salaires sur l’inflation et au reflux de celle-ci. Néanmoins, les perspectives économiques restent moroses pour 2024 avec une croissance évaluée à 0,8% du PIB. Trois économistes analysent les tendances de 2024 pour Forbes France.

Côté pile : reflux de l’inflation, hausse du pouvoir d’achat, baisse des taux d’intérêts. Côté face : croissance stagnante, retournement de la courbe du chômage, investissement en berne. Si certains voyants sont au vert, des menaces continueront de planer sur l’économie française en 2024. Sans oublier le contexte géopolitique incertain, qui pèsera dans les équations économiques. 

  • Les prix vont-ils baisser en France ? 

La question est un sujet de préoccupation majeure pour les Français. La crise inflationniste est-elle derrière nous, comme l’évoquait Bruno Le Maire il y a tout juste un mois ? Si les prévisions économiques semblent aller dans ce sens avec une hausse des prix estimée aux alentours de 2,5% pour 2024, il est encore trop tôt pour crier victoire. 

« Il y a des incertitudes sur le prix du baril dues au contexte géopolitique au Proche-Orient, souligne Dany Lang, enseignant chercheur en économie à Sorbonne Paris Nord. On reste vulnérable car l’Union européenne ne s’est pas munie d’une politique énergétique commune. » Sans oublier les troubles en mer Rouge. « S’ils devaient perdurer, cela pourrait avoir une conséquence sur le prix de certaines matières premières »,  expose Christopher Dembik, stratégiste chez Pictet Asset Management. 

Pour autant, le conseiller en investissement estime qu’il ne s’agit pas du scénario le plus probable. Premier moteur de la flambée inflationniste en 2022, les prix de l’énergie devraient continuer leur reflux. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ils contribueront à moins de 20% de l’inflation totale en 2024 contre plus de 40% il y a deux ans. L’inflation alimentaire, très dynamique sur une grande partie de 2023, devrait suivre une trajectoire similaire. 

A l’inverse, les prix des services sont attendus en hausse en raison des augmentations salariales. Mais pas de quoi susciter une spirale prix-salaire. « Il est probable que les entreprises utilisent les marges accumulées pour ne pas trop augmenter leur tarifs », observe Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE. Si la phase aiguë de la crise semble refermée, les prix resteront bien au-dessus de leur niveau de 2021: « ils vont simplement augmenter moins rapidement ». 

  • Les ménages vont-ils bénéficier d’un meilleur pouvoir d’achat ?

Première préoccupation des Français, le pouvoir d’achat des ménages aura augmenté de 1,2% à la mi-2024 selon l’Insee, contre 0,8% sur l’ensemble de l’année 2023. Une bouffée d’oxygène rendue possible par des prix plus modérés couplé à un rattrapage des salaires sur l’inflation. Le cabinet LHH, spécialiste des questions sociales, anticipe une hausse de 3,5 % des rémunérations sur l’année.

Ainsi, en 2024 l’OFCE estime que le revenu réel des ménages serait 2,5% au-dessus de son niveau de 2019. « Cette hausse au niveau macro-économique est soutenue par le fort dynamisme des revenus du capital, tempère Eric Heyer. Ce chiffre masque d’importantes inégalités ».

En effet, cette amélioration s’inscrit dans un contexte beaucoup moins enthousiasmant. Entre 2021 et 2023, le nombre de salariés payés au SMIC est passé de 12% à 17%. Ce tassement de la grille salariale devra, à n’en pas douter, être au cœur des débats lors des prochaines rencontres entre les partenaires sociaux.

  • La France va-t-elle éviter la récession ?

Si la récession n’est pas à l’ordre du jour, les 1,4% de croissance attendues par Bercy paraissent irréalisables. « Les perspectives sont plus moroses, observe Christopher Dembik. On devrait plus se rapprocher d’une hausse de 0,8% comme le rapportent d’autres institutions économiques (La Banque de France notamment, NDLR). »

L’activité en 2024 devrait être freinée par les effets de la hausse des taux, la diffusion de ceux-ci dans l’économie étant estimée entre 12 et 18 mois. L’OFCE calcule que le resserrement de la politique monétaire aura un impact négatif de 0,9% sur la croissance annuelle. Avec un coût du crédit plus important, les investissements des entreprises devraient fléchir l’an prochain.

Ceux qui préfèrent voir le verre à moitié plein pourront dire que la consommation des ménages viendra, contrairement à 2023, au secours de l’économie. Selon la Banque de France, elle devrait ainsi contribuer au PIB à hauteur de 0,8 point, soit deux fois plus que l’année écoulée. 

  • L’objectif du plein-emploi sera-t-il tenable ? 

Emmanuel Macron doit-il déjà faire une croix sur l’un des principaux objectifs de son quinquennat : le plein-emploi ? Les organismes de prévisions sont formels, la part des actifs en recherche d’activité professionnelle sera en hausse lors des prochains mois.  Selon l’Insee, le taux de chômage, aujourd’hui de 7,4 %, pourrait atteindre 7,6 % à la mi-2024. Plus pessimiste, l’OFCE table sur un taux de chômage de 7,9% à la fin de l’année. 

Bien que l’inflation montre des signes d’affaiblissement, la croissance de l’activité économique demeure nettement insuffisante pour inciter à l’embauche. Par ailleurs, la France souffre de manière durable d’un déséquilibre entre les profils des demandeurs d’emploi et les attentes des employeurs. Les secteurs tels que l’industrie, l’hôtellerie-restauration et l’informatique continuent de faire face à d’importantes pénuries de main-d’œuvre.

Parallèlement, l’augmentation des défaillances, affectant de plus en plus de PME et de grandes entreprises, conduira à des licenciements. D’après Altarès, environ 37 000 emplois sont actuellement en danger. Soit le seuil le plus élevé depuis sept ans. 

  • 2024 signera-t-il le retour de l’austérité budgétaire  ? 

Entre le retour du pacte de stabilité européen (limitant les déficits publics des Etats membres) et la remontée des taux d’intérêts (alourdissant la charge de la dette), 2024 sera l’année du sérieux budgétaire. C’est en tous cas ce que martèle Bercy depuis la rentrée de septembre. Le gouvernement entend ainsi faire 16 milliards d’économie – grâce à l’arrêt progressif du bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie – et prévoit de porter son déficit public à 4,4% du PIB (contre 4,9% auparavant). 

Cependant, il est important de souligner que la réalisation des objectifs budgétaires fixés par l’exécutif est étroitement liée à la situation économique globale. Si, conformément aux prévisions des économistes, la croissance économique en 2024 ne dépasse pas 1,4 %, la tâche de Bercy se révélerait plus compliquée. Dans ce scénario défavorable, atteindre un déficit de 4,4 % nécessitera de trouver d’autres leviers d’économies, au-delà de ceux déjà envisagés dans le projet de loi de finances. 

Une potentielle hausse des impôts ayant été balayée par le gouvernement, celui-ci pourrait s’attaquer à certaines prestations mises en place pour soutenir les entreprises et les ménages. « Le pire moment pour mettre en place des mesures d’austérité, c’est lorsque votre banque centrale mène une politique monétaire restrictive et que l’activité économique est faible » , prévient Eric Heyer. « En adoptant une politique d’austérité, on referait les mêmes erreurs qui ont conduit à la crise de la zone euro durant la dernière décennie », renchérit Dany Lang.

  • Les taux d’intérêt vont-il baisser ? 

En octobre, la Banque centrale européenne (BCE) laissait ses taux inchangés pour la première fois depuis juillet 2022 (10 hausses consécutives). Deux mois plus tard, l’institution monétaire récidivait. Les experts sont affirmatifs: en 2024 la BCE lâchera du lest. « La seule question est quand ?, pointe Christopher Dembik. Le marché considère que cela sera au mois de mars, d’autres plaident pour la fin du deuxième semestre. »

Une chose est certaine, les taux d’intérêts resteront à un niveau élevés sur une période longue« Il faut s’habituer à ce que le loyer de l’argent soit bien plus conséquent que durant le dernière décennie », signale le conseiller en investissement. 

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